Accueil Magazine La Presse Mondher Mokrani, ancien milieu offensif du CAB: «Une histoire de corners directs»

Mondher Mokrani, ancien milieu offensif du CAB: «Une histoire de corners directs»

Une faim de loup. Mondher Mokrani a pris activement part à toutes les conquêtes bizertines de la décennie dorée des eighties (les années 1980). Ailier gauche, spécialiste des balles arrêtées, on le décrit comme un ouragan dévastateur par sa vélocité et sa capacité à éliminer l’adversaire. N’a-t-il pas été un jour champion de Tunisie du 100 m ? «Le corner direct est ma spécialité, s’enorgueillit-il. Pour moi, il est plus certainement facile à marquer qu’un penalty!».Sacré pur sang cabiste !

Mondher Mokrani, dites-nous, d’abord, à quel poste avez-vous joué ?

Milieu gauche, presque en ailier. J’avais une pointe de vitesse qui mettait dans le vent les adversaires. Il faut rappeler qu’en 1976 à Monastir, j’ai remporté le championnat de Tunisie juniors sur le 100 m. J’ai eu comme prix un survêtement. Mon sélectionneur en équipe nationale junior de football, Zouheïr Karoui, a dû me  demander de choisir entre l’athlétisme et le football.

Quelle est votre meilleure rencontre ?

La finale 1982 face au CA. Je brille toujours face aux grands clubs.

Et votre plus beau but ?

Dans la cage du Clubiste Slim Ben Othmane. Sur corner direct, qui était ma spécialité. Il était plus facile pour moi qu’un penalty. Je le travaillais énormément aux entraînements. J’en ai marqué neuf comme cela: au Railwyste Ahmed Zayani, au Hammamlifois Sahbi Sebaï… Le seul auquel je n’ai pas inscrit de but est l’Espérantiste Naceur Chouchène. Les balles arrêtées étaient ma spécialité aussi. 

Quels sont les défenseurs qui vous ont donné le plus de fil à retordre?

L’Etoilé Hachemi Ouahchi avec lequel je suis resté ami, le Stadiste Fethi Jemmi et le Clubiste Lotfi Mhaïssi. 

Tout jeune, quelles étaient vos idoles ?

Le Cotiste Mohieddine Habita et le Railwyste Ezeddine Chakroun.

A votre avis, quels sont les meilleurs joueurs tunisiens de tous les temps ?

Hamadi Agrebi et Tarek Dhiab.

Et au CAB ?

Youssef Zouaoui, le meilleur avant-centre du CAB, Hamda Ben Doulet, Salah Chellouf, Yassine Dziri, Othmane Mellouli, Larbi Baratli, Ali Mfarrej et mon frère Ridha.

Quel est le secret de la réussite du CAB 5 Etoiles où vous avez joué ?

Nous formions un groupe soudé et solidaire qu’on ne retrouvera malheureusement plus jamais. Nous percevions une prime de trente dinars, trois fois rien, et cela nous transportait de bonheur. Notre devise ? C’était ce que nos supporters appellent malicieusement «le bouquet, puis le tarif ! ». Ainsi, nous nous acquittons de notre devoir d’hospitalité à l’endroit de nos hôtes auxquels nous offrons un bouquet de fleurs, toujours avec le sourire. Ensuite, nous passons aux choses sérieuses en leur infligeant une correction, ce qu’on appelle «le tarif». 

Quel système adoptiez-vous ?

En 1978-1979, l’entraîneur yougoslave Alexander Gzedanovic nous a inculqué le harcèlement au stage d’été effectué dans son pays. Contre Hajduk Split, en amical, on se mettait à expérimenter cette stratégie qui allait être baptisée pressing. Lorsque le ballon est en possession de l’adversaire côté gauche, les numéros 3, 10 et 11 vont sur le porteur du ballon. Idem côté droit pour les numéros 2, 7 et 8. En fait, nous avons été les premiers à pratiquer le fameux pressing.

Votre première Coupe de Tunisie, en 1982, vous l’avez gagnée devant le Club Africain, qui partait pourtant archi-favori…

Oui, chaque fois que je rencontre mon ami Nejib Ghommidh, il me dit n’avoir toujours pas compris comment son club a perdu cette finale-là. Il me raconte comment les dirigeants clubistes avaient mis de côté, bien avant le match, les moutons à égorger dans une ferme pour fêter le sacre. Nous avons mis beaucoup de volonté dans ce match. De plus, nous avions un entraîneur roublard et très affûté, en l’occurrence Mokhtar Tlili. Il m’a donné pleinement confiance. Sans oublier un tas de dirigeants dévoués. 

En 1984, Youssef Zouaoui frappe un grand coup en vous conduisant vers le premier championnat de l’histoire du club. Quel genre d’entraîneur était-il ?

A la base de cette réussite, il y avait la préparation d’avant-saison, très dure et exigeante à laquelle il nous soumettait. Au stage de France, je partageais ma chambre avec le défenseur central Salah Chellouf. Après une séance d’entraînement, nous ne pouvions plus faire deux pas dans la chambre. Nous avions des semelles d’acier. Un mois durant, nous avons dû travailler sans ballon. Au menu: montagnes, boue, forêt, soleil écrasant que ce soit au Nadhour ou en Europe. On travaillait très dur le volet physique, et on en recueillait les fruits en cours de saison.

Le titre de 1984 a proposé un suspense à la Hitchkock, puisque trois clubs étaient encore en course lors de la dernière journée: CAB, ESS et ST. Comment avez-vous vécu cette situation insolite?

Nous jouions notre dernier match à Sousse (nul 1-1). Il ne fallait pas qu’en parallèle le ST l’emporte face au CA à El Menzah. Après notre match, nous étions restés devant les vestiaires à attendre la fin du match d’El Menzah. Tout le monde le sait aujourd’hui, plusieurs joueurs clubistes ont levé le pied. Mais le gardien Slim Ben Othmane a sorti un match de tonnerre, rejetant l’idée de la moindre concession. L’arbitre Mohamed Salah Bellagha ne voulait pas siffler la fin. Il accorda huit minutes de temps additionnel, ce qui était très rare en ce temps-là. Puis, l’explosion de joie. Pour mesurer la portée d’un tel événement, je vais vous raconter ce qui était arrivé à notre entraîneur. Youssef Zouaoui ne fumait jamais. Notre président de section, feu Ahmed Karoui, un grand dirigeant passionné, généreux et dévoué, lui a dit avant le match: «Si nous remportons le championnat, vous accepterez de fumer une de mes cigarettes». Eh bien, Zouaoui dut tenir sa promesse après le match. Il étouffa carrément en fumant cette cigarette-là, car il n’était pas un fumeur. Alors, il s’est mis à tousser fort, à tousser, tousser… Nous eûmes peur pour lui. Pourtant, le CAB a failli ne jamais remporter ce championnat. Savez-vous pourquoi ?

Non…

Par la faute de l’arbitre Ali Ben Naceur. Il nous a lésés dans un match décisif face à notre concurrent direct, le Stade Tunisien. Abdessalam Bellagha a inscrit un but, alors que sur le centrage, le ballon avait bel et bien franchi la ligne de sortie. C’est comme cela que nous avons perdu ce match (1-0). Après cette décision injuste, Ben Naceur nous disait : «Jouez, jouez et je sifflerai un penalty pour vous». Eh bien, Mohsen Gharbi a été descendu irrégulièrement dans la surface sans que Ben Naceur ne bronche. Il nous priva d’un penalty indiscutable. Mécontents, les supporters ont abreuvé de projectiles le stade qui a été suspendu. Nous dûmes aller jouer à Bousalem notre dernier match face au CSS. Au départ, celui-ci était prêt à lever le pied. Sauf que le gardien Abdelwahed Ben Abdallah refusa de le faire. Malgré tout, nous l’avons emporté grâce à un but de notre défenseur central Salah Chellouf qui est un grand ami pour moi. 

Quels furent vos entraîneurs ?

Hamadi Ouerdiane nous a tous formés. C’est mon beau-frère, puisqu’il était marié avec ma sœur Wahida, décédée à 60 ans. Il assistait aux rencontres inter-quartiers qui étaient parfois plus colorées et intéressantes que les matches de la division nationale, dans le but de dénicher de futurs talents. Il y eut ensuite le Yougoslave Ozren Nedoklan qui ne se contentait pas de coacher les séniors. Un peu comme Fabio ou Nagy au CA, Kristic au CSS…Youssef Zouaoui aussi. Sa femme et la mienne sont deux sœurs. J’allais le retrouver chez les séniors, d’abord en tant qu’adjoint de Tlili l’année de la première coupe, puis en tant qu’entraîneur en chef qui nous conduisit vers le titre de champion de Tunisie 1984. Cette année-là, il avait pour assistant son frère Larbi qui partait régulièrement superviser notre prochain adversaire. Ce travail de supervision a été très utile dans notre parcours victorieux. Mais je crois que mes meilleurs entraîneurs furent Alexander et Nedoklan, un père spirituel en quelque sorte.

A votre avis, qu’est-ce qui a changé aujourd’hui par rapport au foot que vous pratiquiez ?

Jadis, les joueurs aimaient tout donner pour leurs couleurs. Des familles entières allaient au stade suivre un match de football. Le dimanche, beaucoup de sportifs suivaient à partir de huit heures du matin les rencontres des écoles, minimes, cadets, juniors, espoirs jusqu’aux séniors. Tous les joueurs venaient du vivier de la région de Bizerte: Mansour Shaiek, Hamda Ben Doulet, et Mohsen Gharbi venaient de Menzel Jemil ou Menzel Abderrahmane. Par ailleurs, les quatorze clubs de l’élite étaient d’un niveau très proche. Des clubs, comme le CS Cheminots, le CO Transports, l’US Monastir, le Stade Sportif Sfaxien, l’OC Kerkennah… étaient capables de tous les exploits. Aujourd’hui, il y a les quatre grands, et les autres. 

N’est-ce pas une chance d’avoir un frère dans une même équipe ?

Bien évidemment. Mon frère Ridha a guidé mes premiers pas. Nous avons joué trois ans ensemble: lui, comme latéral gauche, et moi juste devant lui, comme milieu gauche. Il a été un éducateur pour moi. Un jour de 1979, dans un quart de finale joué au Zouiten devant le Stade Tunisien, Nejib Limam agresse notre gardien Ghazi Limam. L’arbitre ordonne de l’évacuer hors du terrain, croyant qu’il cherche à gagner du temps. Je cours vers lui pour protester de façon quelque peu véhémente. Alors, il m’expulse. Mon frère Ridha, qui était capitaine d’équipe, vint de sa zone vers moi m’asséner un K.O. magistral que je n’oublierai jamais, me criant à la figure qu’on ne doit jamais protester contre l’arbitre. 

Parlez-nous de votre petite famille 

En 1986, j’ai épousé Houyem, cadre bancaire. Nous avons deux enfants : Driss, opticien, marié et qui reste un fervent supporter cabiste, et Karim, prothésiste dentaire. 

Que vous a donné le CAB ?    

L’estime et l’amour des gens, mais aussi un boulot à la société régionale de transport de Bizerte où je suis cadre. Notre plus grande prime ? Un million pour le championnat de 1984. D’ailleurs, cette année-là, le président Bourguiba nous envoya représenter la Tunisie au tournoi de Pékin, en Chine, en guise de récompense. En contrepartie, nous avons donné au club toute notre jeunesse, sacrifiant au passage les études, ce qui, avouons-le, n’est pas peu.

Enfin, si vous n’étiez pas dans le sport, dans quel autre domaine auriez-vous exercé ?

Toujours dans le sport. Je suis né dans un milieu sportif, destiné à être footballeur. Nous étions cinq garçons et une fille. En plus de Ridha, j’ai eu un autre frère, Salah, qui a joué avec les jeunes du CAB. 

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